On sous-estime trop souvent le rôle de l’odorat dans l’écriture.
C’est d’ailleurs insensé le nombre d’activités dans lesquelles notre appendice nasal, minuscule ou péninsule, est requis à notre insu : outre ses fonctions primaires de respiration et d’odorat, on ne peut, sans nez, ni savourer, ni cuisiner, ni causer correctebent ; encore moins chanter, sans parler de tout ce qui réclame un minimum d’implication physique sincère.
Essayez donc de bien doser le sel de vos mots quand vous ne pouvez les goûter.
Essayez donc d’écrire quelque chose de sensé si vous ne pouvez rien sentir, si vous ne pouvez pas identifier le parfum de l’air qui vous entoure.
C’est terriblement frustrant ! Peut-être avez-vous oublié de changer la caisse du chat et vous n’en savez rien ?
Et dans l’abominable angoisse de cette incertitude existentielle, comment faire preuve de bon sens ?
Rhume et plume ne font pas bon ménage.
Si pas un souffle d’air ne filtre à travers vos méninges, je ne vois pas bien comment ladite plume pourrait s’envoler. Alors elle reste à terre, pitoyablement engluée dans la poussière, gisant sur le sol à la merci du premier pied malvenu qui lui aplatirait son duvet frissonnant.
Et puis, la phrase ne peut pas respirer correctement si celui qui l’a fabriquée a gardé pendant tout le temps de sa confection cet air tragiquement benêt que lui confère l’obligation de rester la bouche ouverte pour oxygéner laborieusement ce qui lui reste de cerveau, lequel essaie sans grand succès de surnager au-dessus de sinus délétèrement marécageux.
Le phrasé comme le nez doit avoir du souffle. Quand l’un en est privé, l’autre suffoque, crachote, toussote, cahote. Pffeu, pffeu. D’ailleurs, esprit et souffle ne font qu’un depuis la nuit des temps étymologiques. Et il n’était guère besoin de toutes ces circonvolutions pour achopper sur cette équation linguistique d’une évidence antédiluvienne. Quand je vous disais qu’on en perd le sens de l’orientation, et que sans nez, on s’emmêle dans les hautes herbes d’un verbe opaque et déroutant.
CQFD.
Pour toute huître qui se respecte, compatissante et précautionneuse,
nulle poussière n'est assez vile pour n'être point cernée de nacre.
Nul être n’est assez humble pour ne pas mériter rhétorique,
nul sujet assez insignifiant pour ne pas éveiller le plaisir du verbe.
Il faut faire feu de toute émotion pour nourrir création.
"Sortir de soi le chaos pour accoucher d'une étoile qui danse". Nietzsche
Réponse à la "devinette" :
James Joyce (1882-1941)
Auteur du « Bildungsroman » (roman d’apprentissage à peu près autobiographique,
en ce qui concerne la formation intellectuelle en tous cas)
A portrait of the artist as a young man.
Où l’on voit que le mythe du génie créateur en prend pour son grade.
A l’occasion d’une exposition d’artistes contemporains, je découvris la technique japonaise ancestrale du «raku ».
Voici donc ce que je gratouillai, aujourd’hui, sur le dodu papier du (petit) canard local qui me fit l’honneur de m’ouvrir ses colonnes.
L’artiste en question « projette des copeaux de bois sur la figure en terre cuite dès sa sortie du four. Au contact de la forme brûlante, le bois s’embrase et, dans un ballet de fumée, fissure la terre et lui imprime des arabesques charbonneuses. Une sorte d’éruption volcanique rejouée à l’échelle d’un atelier. Symbole de l’acte créateur qui fait de tout artiste une sorte de Vulcain dans sa forge aux prises avec les mystères des origines. »
La photo de ce visage baigné de vapeurs comme des silhouettes dans un hammam (que je vous montrerai après en avoir demandé l’autorisation préalable à qui de droit) était saisissante.
C’est fou comme il est facile de se laisser emporter par ses accès de fièvre plumitive. C’est si doux de planer sur les courants chauds des envolées lyriques, de se la jouer démiurge prométhéen le bref temps d’une virée dans la Second life des effets oratoires.
C’est alors que, selon le procédé bien connu de la douche écossaise, ou de la balle qui rebondit contre le mur et que vous êtes sûr de recevoir en pleine pomme, Joruri me rappelle dans un commentaire que « à partir du moment où nous ne sommes pas l'auteur de notre propre être, on ne voit pas trop de quoi on pourrait bien être le "créateur"... ».
Bon, ben n’ai plus qu’à replier ma plume cerf-volant et à planter des p’tits pois.
Ce que je ne me fis pas dire deux fois par moi-même en répondant de ce pas de doigts sur clavier.
"Rien ne se perd, rien ne se crée, tout se transforme."
Lavoisier voisine avec la voix ma foi bien pénétrante de la Providence.
C'est étrange comme physique et métaphysique, sinon religion, se rejoignent sur ce point.
Un cycle fermé, finalement : nous ne sommes guère que des enzymes, à transformer ce qui nous tombe sous la dent en poèmes, en tableaux, en sculptures, en musiques, chacun selon son petit code ADN, à fabriquer ce qu'il sait faire, consciencieusement, de ses petites mandibules appliquées.
Le rythme est à la prose ce que le parfum est au Jean-Baptiste Grenouille de Süskind :
il donne aux mots un pouvoir presque occulte, un pouvoir de charmeur de serpent,
la douce puissance de s’insinuer, suivant le frêle et sinueux chemin des fines veines bleutées de la tempe qui mènent à l’oreille pour chatouiller le cortex de son imperceptible flux, lui ôter tout résistance au concept nouveau qui pourra se loger, corps étranger incognito, dans l’esprit de son hôte. Le charme du chant, formule enjôleuse : accès direct à l'être sans passer par la case conscience.
Soit j'argumente, soit je contemple.
Et alors, si je ne versifie pas proprement
le résultat de mes méditations métaphoriques,
j’ai l’impression de sortir en pyjama.
L’alexandrin, c’est comme le mascara :
se montrer sans, c’est trop la honte.
Heureux les beaux bénits qui ont assez de génie pour s’en passer.
Ou les vertus et les limites du dialogue argumenté
Face au déferlement de commentaires pour le moins contestables (même si tout commentaire ne se doit pas d'opiner du bonnet) sur le dernier article politique de ces lieux, se pose une question déontologique.
Que faire face à des thèses qui apparaissent, au fur et à mesure qu'elles se dévoilent, de plus en plus périlleuses ?
Plusieurs options possibles :
1) Le silence, lequel consiste :
- soit à effacer le commentaire, ce que je ne me permets pas de faire, la moindre des choses étant d'accorder à autrui la liberté d'opinion qu'on revendique pour soi-même.
- soit à ne pas répondre, ce dont je me sens parfaitement incapable. (Les élèves le savent d'ailleurs fort bien et en profitent, puisque je ne laisse jamais une question posée sans réponse, même si je viens de décider le contraire deux minutes plus tôt. La machine à expliquer en moi est plus forte, toujours, que la machine à discipliner. Il faut que je change de métier. )
2) L'anathème, l'excommunication, la mise à l'index, etc... Ce serait parfois tentant si d'autres n'en abusaient pas de façon inconsidérée, vidant toute dénomination insultante de son contenu conceptuel. Garder toujours en mémoire les slogans galvaudés du type "CRS-SS" que je trouve abominablement insultants pour les véritables victimes des véritables SS. Sans compter que la répartie crétine des cours de récréation fonctionne ici : "C'est celui qui l'dit qui l'est". Oui, traiter de fasciste tout contradicteur transforme de fait le discours de l'imprécateur en accusation totalitaire.
3) Reste le dialogue, dont le choix initial s'impose à tous ceux qui ont lu ne serait-ce qu'une parole de Socrate.
I°/ Vertus.
a) Rien de tel que la nécessité de répondre à un contradicteur pour approfondir sa propre pensée.
Sans parler des plumes alliées offrant leur éclairage nouveau à une idée qu'elles revivifient de leur propre alchimie du verbe.
b) Rien de tel non plus que de faire parler ("nous en avons les moyens" sur ces blogs bénits des bavards) son adversaire pour en sonder les coeurs et les reins et le pousser dans ses retranchements.
Quelle meilleure chance de démontrer l'invalidité d'une thèse que de l'amener à en déployer les moindres zones d'ombre dans la lumière publique des forums de discussion ?
Sans même avoir besoin de préméditer quelque piège que ce soit, il apparaît évident que laisser parler l'adversaire permet, s'il s'avère effectivement
qu'il a tort, de récupérer toute l'énergie des arguments contrés pour alimenter son propre discours, selon le principe bien connu des arts martiaux.
II°/ Limites.
a) Le pouvoir d'action du logos est limité, les occasions de se heurter à de sombres impasses ne manquent pas.
Ventre affamé n'a pas d'oreilles. Coeur passionné non plus.
On ne compte plus les dialogues de sourds dus, non à l'audition défaillante de l'un des protagonistes, mais à l'épais mur séparant des systèmes de pensée par trop étrangers l'un à l'autre. Ou bien encore à la différence de niveau à laquelle on se place : se croiser sans se rencontrer semble souvent le mode de fonctionnement habituel de la communication humaine, exceptés quelques rares états de grâce accédant à une communion de perceptions et d'être au monde.
b) A supposer même que l'enchaînement des arguments fonctionne sur le plan rationnel comme il se doit, rarissimes sont les cas de persuasion avérés. Là encore, il est tentant d'invoquer un lexique religieux : la conversion, si rare, et pas toujours souhaitable d'ailleurs, de l'un à l'autre. Atteindre l'intellect est une chose. Toucher la personne dans son entièreté en est une autre.
III°/ Echappées.
"Si vous vous taisez, les pierres crieront.
a) Version hard : Discussion ou lapidation ?
b) Version soft : Orphée donnant de l'âme aux roches par ses charmes incantatoires.
Quand l’argument rationnel échoue lamentablement comme un beau vaisseau sur un écueil funeste, quand le logos devient impuissant, deux solutions :
a) Par le bas, la violence :
Comme issue au constat d'échec du logos :
- contre soi sous forme de suffocation d’impuissance, d'étouffement sous la pensanteur de l'aporie. Ou pire.
- contre l'autre qu’on voudrait dissoudre dans sa colère, par les cris ou les coups.
b) Par le haut, la poésie :
La poièsis, la création d'un univers de visionnaire là où l'on n'a pu amener l'autre à partager son point de vue.
Où la démonstration échoue, reste la métaphore et la contemplation de l’être.
La pacification du conflit par le redéploiement du verbe hors des tranchées parfois boueuses du combat d'idées, dans les vallons aux courbes adoucies et les ciels étirant leurs infinis horizons de l'Etre. Détourner son regard de l'autre pour le plonger dans la beauté du monde. Harmonia mundi.
« La métaphore seule peut donner une sorte d’éternité au style.» dixit Proust.
Et pour cause, puisqu'elle seule permet d'ancrer son discours à l'univers, le concret à l'abstrait, la Poésie à la Création.
Au commencement était le Verbe.
1°) Window : nom anglais de la fenêtre. Etymologie :
de l'ancien saxon Wind Auge, l'oeil du vent.
2°) Les métaphores, c'est comme les collants.
Ca file vite si on n'y prend pas garde.
3°) - Métaphore et crie-toi. (d'après Luc)