Qui l’eût cru ? Voilà que je profite de façon éhontée du (re-)passage d’innocents lecteurs par ici pour leur infliger un nouveau pensum ménager.
Espérant que ces vains et codés exercices de style ne vous auront pas trop échaudés, la blanchisseuse, rougissant de confusion d’avoir noirci tant de lignes pour si peu, vous prie d’accepter les excuses les plus humbles qui se puissent trouver dans l’eau trouble qui ruisselle aujourd’hui en torrents dans les caniveaux embourbés. Elle tâchera de ne pas récidiver trop souvent.
Les divagations embuées qui précèdent se sont pourtant imposées avec aussi peu de prévenance que les vapeurs de pressing, donnant à l’atmosphère qui règne dans cette buanderie un taux d’hygrométrie oulipienne à la limite du respirable.
Aérons un peu ces jongleries trop denses.
Que fait-on là à minauder dans l’amidon ?
Tâchons d’aborder avec détachement le véritable enjeu de la question :
laissons la place à l’amie, donc, de la planète.
On croit trop aisément qu’il ne reste à l’écolo qu’à taire son indignation devant les mille absurdités de notre vie moderne.
Mais comme Jacques Tati le disait si bien dans Playtime,
« fini de jouer » derrière nos baies vitrées bien astiquées.
Non point seulement que cette corvée m’insupporte, même si une belle chemise blanche bien nette n’est pas exactement ce qui se fait de plus laid.
Mais il faut avouer que le repassage excessif n’est pas toujours très sage :
Le fer ne dévore pas que le temps et l’énergie de la ménagère.
Il est aussi un ogre électrique.
On peut donc en conclure sans trop exagérer
que l’intérêt de la paresse rejoint ici celui de la planète.
Une fois n’est pas coutume
"Non aux repasseuses ! Oui aux paresseuses ! "
Sans vouloir renoncer à l’impératif catégorique de l’esthétique, j’essaie ainsi dans la mesure du possible de trouver ce qui se tient à peu près droit sans repassage.
Vive l’hiver et ses gros pulls.
Mais que faire en été ?
Répondre à cette épineuse question pas encore de saison
nécessite une entrée en matière plus concrète
qui ne froisse pas notre fibre écologique.
Paradoxons en chœur et "rangeons le fer ailleurs".
(merci à Fardoise pour le jeu de mots en cadeau-bonus).
"Si le fer a ses vapeurs, qu'on le laisse au repos" au lieu de le faire plancher.
(merci aussi à Jonavin pour le jeu de mots en cadeau-bonus).
Pour cela, imprégnons d’une brume d’éthique dialectique
les étiquettes de nos textiles.
Dégageons notre discours engoncé dans la discutable opposition binaire
entre matières naturelles et synthétiques.
Ces dernières ne proviennent-elles pas du pétrole, lui-même obtenu par la décomposition de micro-organismes et de sédiments parfaitement naturels ?
Et même si l’abus d’hydrocarbures est dangereux pour la santé des poumons de la planète, n’est-il pas probable que les fibres textiles fabriquées à partir de bouteilles plastiques recyclées demeurent plus respectueuses de l’équilibre écologique que des articles en coton ayant parcouru le globe entier de sous-traitants délocalisés en cargos recrachant leurs noires fumées ?
Est-il en effet bien raisonnable de qualifier de naturel le coton (sauf s’il est bel et bio), alors qu’on sait quels efforts titanesques il a nécessité pour en maintenir une culture intensive bien artificielle ?
Alors que pesticides et herbicides y sont pulvérisés massivement ?
Alors que les travaux d’irrigation forcenés exigés par Staline pour alimenter ses champs cotonniers démesurés ont contribué à l’assèchement tragique de la Mer d’Aral ?
Alors que, lorsqu’il est de mauvaise qualité, il résiste de toutes ses fibres et ses faux plis au repassage, démultipliant le temps et l’électricité dépensés ?
On pourrait en effet limiter peu à peu l’usage des matières les plus longues à défriper.
Ainsi le lin (dont les graines sont par ailleurs dotées de bien des vertus, riches en Oméga 3 notamment), justement parce qu’il se froisse au premier mouvement, rend vain tout effort pour le dérider durablement. Inutile d’espérer conserver plus de trois minutes la plénitude de sa surface peu lisse à moins de concurrencer l’immobilité d’un habitant du musée Grévin.
Mais cette belle plante a le bon goût de garder sa fierté même chiffonnée, pour peu, simplement, que l’on choisisse des formes qui se drapent dans leur dignité, majestueuses dans leurs faux plis assumés parmi les grandes lignes de force.
Enfin, achevons cet inventaire peu inventif d’un coup de bambou final dont les vertus infinies et trop largement insoupçonnées feront un jour l’objet d’un panégyrique en grande forme.
Je me contenterai ici de vanter l’incomparable et douce fluidité de ce textile dont le caractère fort obligeant ne se froisse presque pas.
Si l’on ajoute brièvement que cette herbe géante pousse toute seule ou presque à une vitesse hallucinante ; que l’on pourrait, comme l’Asie le fait depuis des millénaires, l’exploiter dans bien des domaines ; que sa fibre textile possède des vertus antibactériennes et absorbantes inégalées, on ne peut que songer que le salut passe par le bambou de ficelle. Ou plutôt la ficelle de bambou.
Sur ces circonvolutions peu littéraires, je vous laisse méditer ces quelques vers qui achèveront de vous assommer sous leur légèreté marmoréenne :
«Moi, c'est moralement que j'ai mes élégances.
Je ne m'attife pas ainsi qu'un freluquet,
Mais je suis plus soigné si je suis moins coquet;
Je ne sortirais pas avec, par négligence,
Un affront pas très bien lavé, la conscience
Jaune encore de sommeil dans le coin de son oeil,
Un honneur chiffonné, des scrupules en deuil.
Mais je marche sans rien sur moi qui ne reluise,
Empanaché d'indépendance et de franchise.
Ce n'est pas une taille avantageuse, c'est
Mon âme que je cambre ainsi qu'en un corset,
Et tout couvert d'exploits qu'en rubans je m'attache,
Retroussant mon esprit ainsi qu'une moustache,
Je fais, en traversant les groupes et les ronds,
Sonner les vérités comme des éperons.
[...] Je n'ai pas de gants ? La belle affaire !
Il m'en restait un seul, d'une très vieille paire,
Lequel m'était d'ailleurs encor fort importun.
Je l'ai laissé dans la figure de quelqu'un. »
Edmond Rostand, Cyrano de Bergerac.