Ecrivant un article sur un événement qui passionnait le petit monde des amateurs d'art, je m'interrogeais il y a quelque temps sur l'existence d'un terme désignant le hanteur de musée, sur le modèle de "cinéphile", "bibliophile", ou encore, par défaut, "mélomane". Ne trouvant rien dans les méandres de mes méninges personnelles, (après réflexion, il y avait bien le rare "muséophile", mais bon...) je me résolus timidement à forger un discret néologisme bon teint : "pictophile", amateur de peinture, quoi de plus logique ?
Par précaution néanmoins, je m'enquis de son éventuelle existence en demandant à Goûts-gueules (autant de gueules, autant de goûts ; tot capita, tot sensus). Que nenni ! En fait de teint, rouge fut celui qui repeignit ma chaste face : car on m'apprit que "pictophile" était plutôt apparenté à "zoophile" et autres zigs bien moins recommandables encore, qu'à de respectables et inoffensifs anglophiles lecteurs de Jane Austen, puisque "pictophile" désigne, selon la bête chercheuse du net, un amateur d'images ... pornographiques !!!
Horreur et damnation ! Quelle ne fut pas l'effroyable angoisse rétrospective qui se saisit de mon innocente personne lorsque j'imaginai le scénario né de l'hypothèse inverse. Que serait-il arrivé si, n'ayant pas vérifié, j'avais proposé à la publication l'infamant adjectif trônant en exergue d'un article mettant à l'honneur un vénérable et chenu directeur de musée multiséculaire en qualifiant ses fréquentations de "pictophiles" ? Un texte multiplié cauchemardesquement à des dizaines de milliers d'exemplaires, atterrissant sur les bureaux atterrés de responsables siégés de cuir et boisés à l'or fin ?
Comme dans le diptyque d'Alain Resnais Smoking / No smoking, je me retrouvais broyée dans l'implacable engrenage du "Googling / No googling", à jamais marquée du sceau honni de la honte, fustigée par la preuve irréfutable de mon ignorance diffamatoire, fuyant les espoirs scintillants d'une aurore entrevue, comme les parias chassés de Gomorrhe sous la colère cataclysmique du Dieu vengeur gardien de la Vertu.
Sans être, je crois, prude outre mesure, elle m'agace un peu quand même, cette insidieuse colonisation du langage par l'obsession du caleçon qui rend inutilisables tant de termes au départ des plus fréquentables !
Ainsi vous mets-je au défi d'étudier, dans une classe de collège saturée d'hormones plus encore qu'un élevage de poulets en batterie, le moindre extrait du roman le moins égrillard possible, où figurent, au détour d'un brave texte tout ce qu'il y a de plus scolaire, les mots "pipe" ou "chatte". Qu'importe que la première soit bien innocemment posée sur le bureau d'un vieil homme somnolent et que la seconde soit le sujet de l'expression "laper du lait" dans une phrase qui continue par "dans le bol de faïence posé sur le carrelage de la cuisine", vous aurez, quoi que vous fassiez, une douzaine de visages acnéiques épanouis de rires gras et de gloussements dindonnesques.