Je n’ai jamais rien compris à cette entité vide de sens qu’est le temps. Se réjouir à coups de pétards, de beuveries et de confettis d’avoir un an de moins qui nous sépare de l’issue fatale de son bref passage sur terre m’a toujours prodigieusement agacée. Que certains se croient obligés de faire le plus de bruit possible pour se prouver qu’ils existent malgré la vacuité de leur for intérieur, cela fait maintenant un certain temps que je m’y suis habituée, contrainte et forcée.
Il m’arrive fréquemment de réveillonner, une tasse de thé au côté du bureau, quand je n’ai pas fini un texte avant la naissance du jour nouveau. Mais m’obliger à veiller un verre de (non, pas de champagne, on vous a dit) jus d’orange à la main pour attendre minuit et me transformer en citrouille en public sous l’effet de la fatigue la moins élégante qui se puisse imaginer, non merci.
Autant Noël, avec la chaleur qui rayonne des yeux de la chair de sa chair et la beauté des rares cantiques qui me font immanquablement et malgré moi monter aux yeux quelque humidité, suintant probablement d'une nostalgie mal enfouie et des restes modérément bien digérés des murets de l'enfance ; autant Noël, donc, demeure un foyer de lumière dans cette obscurité hivernale, autant le Nouvel An m’insupporte absolument, et je le boycotte sauvagement.
En outre, la coutume qui consiste à envoyer des cartes sur commande à une date précise et parfaitement insignifiante en terme de contenu m’a toujours semblé un peu trop convenue pour que la forme particulière de snobisme dont je suis affligée m'autorise à y sacrifier. Mais il s'avère au fil des ans que le temps court décidément plus vite que les pauvres créatures qui se débattent dans ses flots : attendre une occasion extraordinaire pour donner et prendre des nouvelles s'est donc révélé mettre en péril les attachements sincères bien que lointains qui tissent notre vie en ce bas monde, et cela fait maintenant une paire d’années que je me plie à cette obligation. Depuis que la sale bête qui décide de kidnapper les vivants qui nous sont les plus chers, laissant quelques chaises vides aux tables de fête, me fit ressentir le besoin de me rapprocher un peu de ceux qui connaissaient et chérissaient aussi ceux qui les occupaient. Depuis aussi que les quelques amis véritables que j’ai conservés du temps troublé de ma jeunesse déjà lointaine se sont éparpillés aux quatre coins de l’Europe, voire du monde pour les plus contrariants d’entre eux.
Mais je n’irai pas jusqu’à prendre des résolutions, tant elles ressemblent furieusement à celles de 2008, elles-mêmes analogues à s’y méprendre à celles de 2007.
Cependant, ces quelques réserves de rigueur ne m’empêcheront pas de vous exprimer, à vous tous, esprits bienveillants qui hantez de vos pas délicats la clairière de l’œil du vent, et à vous aussi, amis du monde géographiquement réel au courant de ce lieu, toute l’intensité de ma reconnaissance pour l’incommensurable chaleur dont votre petit cercle ne fut point avare, tout au long de la première année de cette humble fenêtre.
J’étais à mille lieues d’imaginer, lorsque j’ouvris cette trappe sur l’air libre, il y aura un an dans deux jours, tout ce qu’elle recèlerait. De simple refuge, elle se transforma peu à peu en caverne d’Ali Baba à belles âmes. Ou en boîte de Pandore, tout dépend du point de vue sur la chose qu’on choisit d’adopter.
En commençant ce texte, j’étais à deux doigts d’être n’émue, ben là, y reste même plus un ongle.
Alors voilà, ze vous embrasse tous. Pour l’ambiance, imaginez-vous, ceux qui auraient vu Quatre mariages et un enterrement (‘solée, n’ai point trouvé la séquence sur Vot’tube) les épanchements lacrymaux de la première mariée, celle qualifiée de meringue par Fiona (Kristin Scott Thomas), l'amie sombre et fidèle doucement éconduite par Huuugh Grant, confidente à défaut d'être amante (ceux qui me connaissent, cherchez à qui je me suis identifiée en voyant le film. Question fastoche à deux francs, anciens), lorsqu’au départ des invités, elle affirme à chacun, entre deux larmes fortement alcoolisées et deux poignées de main collantes, combien elle les aime, (« Et toi aussi, je ne te connais pas depuis longtemps, mais je t’aime beaucoup, si, si j’insiste ») sous le regard décontenancé et passablement inquiet de son tout frais mari, espérant que cette débauche d’amour soudaine n’est à attribuer qu’à son ébriété passagère :
« Don’t mention it. She’s drunk. That is to say, I hope so. »,
avec l’air gêné de circonstance du britannique, flegmatique comme il se doit.
Et même si les amitiés véritables et pas virtuelles pour deux sous qui se sont nouées au fil de ces mois s'épanouissent harmonieusement dans l'espace circonscrit et néanmoins infiniment riche de cette étrange lucarne, je caresse parfois le rêve étrange d'écouter retentir quelques éclats de voix et de rires en un même lieu, tant l'espace semble bien être l'unique contingence qui nous sépare parfois. Et tel sera l'unique voeu que je formulerai : nous réunir un jour, peut-être. Et vous voir heureux.
Et en avant la rentrée, en musique. En remplaçant "Prozac" par carré de chocolat et "Grand Marnier" et autres produits distillés par "textes et commentaires du blog", c'est à peu près ça.
PS : au fait, j'oubliais. Ceci est bien, conformément aux clauses du contrat ci-devant mentionné et selon les termes de l'article 192 alinéa 3 du code blogal, le deux-centième billet du Blov pondu en 2008, première année de sa courte existence. CQFD.