On n’est plus à un paradoxe près.
Moi qui m’en voulais déjà d’avoir vociféré sur l’ombre de la burqa, voilà que je la repasse une deuxième fois (merci Slevtar pour la formule). Ou plutôt que je la laisse reteindre par un esprit averti qui en vaut deux, comme chacun sait. Je ne peux donc résister, non à l’envie, mais au devoir de vous faire lire ce que pense sur le sujet un des esprits les plus acérés du XXIème, encore à l’aube de sa renommée. Car l’auteur de ce long mail (aujourd’hui presque vingt ans et brillamment) dont je reproduis ici des extraits avec sa permission, eut l’honneur et la malchance de m’avoir comme prof en une lointaine année de collège, durant laquelle la demoiselle écrivait déjà mieux que Rimbaud.
Peu fière de ma harangue sur un sujet que je connaissais sur le fond si mal, je me permis en effet de lui demander ce qu’elle en pensait, en tant que musulmane éclairée et biculturelle, donc bien mieux placée que moi pour en causer.
Eh bien, le premier mangeur de cochon qui se serait permis les mêmes propos aurait déjà Halde, fatwa et autres milices de la pensée aux trousses. Car le courage et l’impertinence, aujourd’hui, ce n’est pas de tagger les murs des édifices multiséculaires ou de siffler la Marseillaise avec des hordes de fanatiques obscurantistes et ultraviolents : c’est de s’opposer à eux. « Liberté, liberté chérie, combats avec tes défenseurs. »
Je cite seulement cette longue missive écrite au fil impétueux de la plume
(quelques coupes en moins et quelques titres en plus.)
1°) Réciprocité et transparence
« Admettons qu'il [le voile intégral] soit porté par Michel, ou Eric, juste parce qu'il en avait envie pour sortir de chez lui (donc entrer en zone de citoyenneté publique):
le voile est alors intolérable parce que c'est avant tout un masque.
On doit pouvoir distinguer le visage. Comme une voiture, avec une plaque d'immatriculation. Et il n'y a ni religion, ni organisation, ni mode qui puisse changer cela.
Porter une cagoule, un masque, une écharpe est suspect car cela attaque le sentiment de sécurité dont le citoyen doit pouvoir jouir.
Comment participer à un acte démocratique dans cette tenue? (Vote, contrôle d'identité...)
Comment nier le fait qu'il y a geste de provocation, après avoir pris connaissance des lois de la république?
La personne masquée vous voit, vous ne la voyez pas. Il n'y a d'emblée ni respect de l’égalité ni comportement de fraternité.
Le pacte, consensus social républicain laïque suppose d'instaurer la liberté par -avant tout- le respect de celle d'autrui.
Or autrui ne peut pas vous voir, il est en position d'incertitude, de vulnérabilité. Dans la nature, le phénomène de déguisement, de dissimulation recèle toujours une feinte. Le principe de la burqa, déjà dans le cortex reptilien, ça coince.
Si ce morceau de tissu va à l'encontre de la liberté d'autrui, c'est parce qu'il rend impossible un rapport d'égalité et de respect qui passe par le fait de disposer des mêmes droits : ici il s'agit simplement de discerner le visage de l'autre.
Ce qui est énervant c'est qu'elles manifestent ainsi leur refus rudimentaire du monde dans ses différences. La femme cachée crache au visage de l'altérité. Elle se soustrait au monde au nom de cette idéologie compacte qui n'admet pas qu'elle jouisse.
Ne pas se voiler la face est la condition sine qua non sans laquelle rien de sain et de clair ne peut arriver.
Donc en gros, pas de burqa, de masque de mickey, d'écharpe ou de bonnet, sauf pour braquer la Société Générale ou à Halloween.
Problème simple au demeurant, à cela près qu'ici, l'habit n'est pas neutre et véhicule des valeurs...
En effet, si sur Michel il est inquiétant pour la sécurité, porté par Fatima, le voile engage un débat sur l'islam car il est l'avatar d'une volonté de distanciation (ou rejet?) par rapport à la république française laïque.
2°) Non respect de la femme
Abordons le sujet dans la perspective du voile symbolique du droit des femmes.
Il dénote systématiquement une pression religieuse de dingue exercée sur la femme et il reflète concrètement sa disparition physique.
"Dans l'islam la femme est sacrée" me disait une cousine pratiquante. Je ne peux tout de même pas lui répondre que ce qui était un progrès, une forme de respect nouveau offert au sexe faible dans les temps anciens est, avec le temps, devenu un brouillard d'hypocrisie. Que, quelque immaculée que puisse être l'origine de cette restriction de l'existence physique de la femme, tout ce qui l'entoure aujourd'hui empeste l'hypocrisie, l'ignorance et la soif de contrôle.
Mais je n'étais même pas sûre qu'à la base le voile puisse avoir un truc digne de mon approbation inestimable.
Admettons : chez les musulmans, l'ascète se voile. Ah non pardon, l'ascète femelle se voile.
Et elle est obligée d'être ascète, pour être digne de la vie.
Et chez les musulmans, la vestale doit procréer, obéir, nourrir, rester sobre.
Admettons. Ne sont-ce pas là de précieuses valeurs? Mesure, discrétion, don de soi, recueillement...
Non, je ne vois que du silence sur et sous ce voile.
Une vie entière tournée exclusivement vers l'homme commandeur, substitut de dieu sur terre.
On remonte la chaîne d'assemblage et on en arrive invraisemblablement, insupportablement au même point.
Le dogme n'admet pas de préoccupations extérieures à lui.
La terre n'est que la parenthèse, l'épreuve révélatrice. On y soumet par la culpabilité, on y insinue l'idée que le vivant doit quelque chose qu'il ne possède même pas.
Ainsi dieu exige.
Quel dieu exigeant, quel caprice et quel appétit! Quel orgueil au fond....
C'est drôle, c'est pourtant le péché suprême si j'en crois Saint Augustin, dans l'oreillette.
A l'instar du petit brun autrichien, Dieu refuse fermement à ses sujets d'être pourvu de son attribut le plus notoire, manifeste, éclatant (gradation, je suis en lettres, monsieur, parfaitement). Nous faire pour qu'on puisse l'adorer sans limite.
Je ne suis pas convaincue, ça pue le prétexte, ces croix et ces livres.
Passons, car je crois en la matière. A la limite, je tolère la spiritualité, mais cessons ces comédies où l'on peut voler après la mort, jetant toute sa vie en un idéal cruellement absent.
C'est le verset du coran de la sourate : la lumière qui impose à la musulmane de se voiler, elle cache ainsi "ses atours aux hommes étrangers" et c'est une obligation religieuse
envers Allah pour la musulmane ...
Exister physiquement relèverait forcément de l'orgueil, de la vanité du mortel. Mais une femme c'est pire! C'est...insolent. Le pauvre mâle ne peut pas lutter contre les torrents fous de sa virilité suprême.
Le voile résulte d’une diabolisation de la femme, d'une réduction de son identité, d'un refus de sa sensualité. D'un besoin de contrôle.
Faire passer tout cela pour du respect (quand elle porte le voile elle se préserve, elle se respecte et respecte l'homme en ne le provoquant pas-le pauvre) et de la décence, c'est moyen.
Il ne s'agit que d'un retrait du territoire de l'apparence.
La femme se voile d'elle- même pour se préserver. Admettons, là encore.
Mais est-il impossible qu'il s'agisse en fait d'une méconnaissance des motivations profondes des islamistes pour tenir les femmes en servitude dans les sociétés?
Le seul droit de la femme dans l'islam, c'est de dormir la nuit. Le droit de la femme religieuse s'oppose strictement au droit de la femme laïque.
Elles sont pondeuses avant tout, rarement très instruites, jamais vraiment autonomes. Jamais indépendantes.
Au nom de la vertu de la flemme, de l'endoctrinement, de la peur ou par provocation, elles l'acceptent. C'est ça qui me tache, moi.
Cependant, porter ce voile est son droit, non? Même si elle n'a pas d'âme, elle peut réfléchir et décider elle même, n'est-ce pas?
Mais il y a nette impossibilité à démêler le volontaire de l'imposé, le voile étant synonyme d'opacité hostile, d'opacité accablée, et d'opacité tout court- ce qui est déjà une gifle à la laïcité.
C'est le travail d'imams de pacotille et de salafistes ignares qu'il faut combattre. C'est un déguisement d'un autre âge venu des confins de l'Arabie et qui n'a rien à voir avec le Coran.
-Il n'est nulle part prescrit ni dans le Coran ni dans la sunna de se cacher le visage et de s'enfermer dans un tel déguisement. Il y est juste dit qu'il faut cacher ses "atours", rabattre un voile sur la poitrine et les épaules.
Il n'est même pas question de cheveux!
Même si les religieux nous parlent de libération de la femme par son effacement physique, le voile ressemble à une "prison ambulante".
Il s'agit souvent de femmes mal informées par les sphères islamiques. Sphères expertes dans le maniement de l'exégèse du texte coranique ou de la sunna.
Ce qui est énervant c'est de sentir, en fond, le joug insupportable, archaïque et nauséabond d'un islam d'hommes barbares et suffisants.
Les idées corrompues et faisandées de générations d'hommes avides de contrôle ont fait le reste (en cachant la femme, c'est au fond eux même qu'ils désirent désespérément contrôler, assainir, purifier. La femme comme responsable de la tentation, c'est flatteur hein? C'est juste une insulte définitive.
Cette rigueur entêtée, sourde et aveugle qui glue le monde musulman gagnerait en clarté si elle était lue à l'aune du phénomène de durcissement de l'Islam actuel. Toute organisation se sentant attaquée se replie sur ses noyaux durs, et devient désagréable, hostile, belliqueuse.
J'aimerais aller à la fac sans croiser ces fantômes quotidiens. Elles sont ridicules. Comme si sur leur front trônait un post-it : « A forniquer ».
Elle n'existera qu'après s'être fait acquérir par un mâle. En attendant, elle est en stand-by, elle se préserve pour le futur détenteur de son utérus.
Et eux, ces coqs aux airs de sages. Tellement fiers, tellement prétentieux, la nature de leur démarche d'entrée en religion pue la comédie, la chimère et la panique identitaire.
Si peu sûrs de la "pureté" de leur "âme"qu'ils se noient dans les précautions, en monomaniaques graves et parés.
Ceux qui tolèrent l'islam oublient que cette religion est indissociable de la notion de guerre sainte.
Et ça donne envie de sourire. De même la suprématie rigolote car mourante du Vatican est ridicule.
La morale religieuse me chatouille. Elle me fait trop penser à la morale bourgeoise.
Prout.
3°) Non respect de la république
Aujourd'hui, le voile devient vraiment très visible socialement, en Occident, il se" croit chez lui".
Or il est avant tout le symbole d'une hostilité toujours croissante entre le rigorisme islamiste et l'exigence de laïcité Française.
Ajoutons à cela le spectre anxiogène au possible du sentiment moderne de surpopulation cosmopolite, de mort des identités "du sol", d'envahissement dû à l'immigration maghrébine....Vous obtiendrez un joli débat de comptoir.
Cela dit, si on fait se courber la république ne serait-ce que d'un ou deux décrets, on va vers la dictature des minorités et le droit différencié. C'est Marianne qui doit être la BIG BOSS. Seule.
Ce voile intégral est l'expression d'une hyper-identité musulmane pour reprendre les termes du recteur de la grande mosquée de Paris.
Une expression d'une telle nature va catégoriquement contre les principes de la république.
Une expression d'une telle nature est une preuve du stade avancé du malaise communautaire moderne.
Une expression d'une telle nature pue le rapport de force.
4°) Forbid or not forbid ?
Faut faire attention à ne pas simplifier les enjeux...
A quoi amènerait une interdiction? A une véritable disparition de la femme musulmane dans la société laïque: et alors? Dans les pays où le voile est dans la place, la femme finit par rester chez elle et ne sortir qu'avec un cousin, son père, son frère...
A un bras de fer propice aux hostilités de toutes natures? La haine est déjà là qui résulte de l'incompréhension et du sentiment d'injustice. De part et d'autre, voire de toutes parts.
Mais il faut en passer par là pour faire triompher la liberté et laisser un peu de sens à la république. Je suis pour le mode frontal.
En somme je pense qu'il faut légiférer, la transparence dans la sphère publique doit être l'objet de toutes nos préoccupations. Elle seule tend à faire émerger une citoyenneté laïque, donc forcément plus objective. En tous cas détachée de toutes considérations spiritualisantes.
Ce voile est un symptôme de rejet de la société. Cet anéantissement concret des valeurs de la république divise. Porter la burqa, c'est marquer nettement son refus de la société française d'une part; attiser l'hostilité et la frustration de citoyens qui observent leur devoir de transparence sociale dans la sphère publique de l'autre.
Ce voile doit être interdit car il est une liberté d'expression qui porte atteinte à un principe constitutionnel, incarnant par surcroît une certaine idéologie. Je n'ai pas dit « religion », car le terme est plutôt noble pour désigner une dégénérescence qui empeste.
Pour conclure, on renonce à la citoyenneté des lors que l'on va à l'encontre de ses préceptes. [...]
Et rends toi compte, ne pas sentir le soleil sur ton cou et tes épaules, le vent du matin dans ta nuque. Rien que pour ça c'est un crime. »