(Essai, échec, un perd et passe)
Les cloportes colportent un discours si visqueux.
(Petit regret sur le mépris induit par ces "cloportes" mais leur musique me trottait dans la tête
depuis si longtemps qu'il fallait bien les emmener prendre l'air sur la toile d'araignée.)
Il est si difficile de bien, vraiment bien parler d’amour.
Parler de l’amour, depuis l’amour, depuis un état amoureux, sans gluer de confiserie,
déjà, ce n’est pas donné.
L’Union sacrée entre cortex et cordial est d’or : pas irréelle, non, mais inespérée.
Certains ont ce don-là, sont riches de cet absolu pouvoir qu’il leur confère.
"Ce dieu-là existe, je l’ai rencontré", peuvent dire les heureux(ses) élu(e)s.
Mais parler de l’amour pour essayer de cerner la bestiole, c’est beaucoup plus ardu.
Malgré quelques molles tentatives, je n’ai pas encore réussi à sortir de ma boîte à outils quelque chose de potable sur le sujet. Commencer une phrase par « L’amour, c’est… » c’est … mal parti, d’abord.
C’est quoi donc, d’ailleurs ?
Un jardin de roses ? Deux papillons dans le ciel bleu ? Deux libellules sur un ruisseau ?
Un étalage de croissants au beurre ? Une paire de chaussures assorties ?
Un pot et son couvercle ? Une clef et sa serrure ? Une âme et sa sœur ?
Et la vôtre, elle va bien ?
« Le discours amoureux est tenu par tout le monde, soutenu par personne. »
dixit Barthes in Fragments d’un discours amoureux.
Oui,…et non. Tenu souvent, assez mal, en outre.
Mais pas assez, pourtant, et pas toujours par ceux dont on l’attendrait, en plus.
Ca fait pas intello de conter fleurette. C’est pas sérieux, ça déclenche les sarcasmes.
Car la perle est rare qui allie beau ramage et vrai visage.
Pas chimérique, non, mais rare. Si rare, si précieuse, qu’on l’imagine déjà broyée par les nuées de convoitises qui s’abattront sur elle comme la misère sur le monde.
Zeus dévoré par les bacchantes, une poudre de nacre inondant de sa pluie les mortelles enfiévrées.
C’est ainsi : d’un côté, les détails de l’affaire nous demeurent inconnus.
Et de l’autre, il faut bien essayer de se débrouiller avec la finitude de nos contingences et l’infinité des univers nés de nos caboches. C’est à cela que ça sert, les définitions. A faire un peu concorder les deux. A jointoyer les plaques telluriques de nos improbables tectoniques d'un peu de plâtre mal séché.
A colmater les brèches de nos planchers pour ne pas s’engouffrer dans de fatals précipices.
Alors en voici une, de définition.
Une toute petite, une toute bête, une toute banale. Une déjà vue, une déjà lue, parce qu’avec le nombre de cœurs ayant déjà battu, l’inédit dans le domaine, à part au rayon des prouesses de la chirurgie cardiaque, je ne vois pas trop. En tous cas, je ne sais pas faire.
Aimer, c’est … (oui, je vous avais prévenus, ça commence mal) vouloir le bonheur de l’autre même s’il ne passe pas par le sien.
Ca vous en bouche un coin, ça, hein ? Personne il avait encore jamais dit ça aussi bien !
L’exact contraire de la propriété affective, donc. Avoir des droits sur un coeur est un contresens.
L’amour ne se décrète, ni ne se réclame, ni ne s’impose, ni ne se revendique.
Il s’éprouve, dans le dénuement de son intime vérité.
Ou pas. Et si « pas », s’effacer.
Il se construit, pourtant, aussi, oui. Comme on construit un feu* dans le Grand Nord, malgré le froid mortel. Et il s’écrit, infiniment. Mais pas sur un texte de loi ou un registre.
Quand l’amour ne rame pas dans le même sens que le flot de la vie, quand il lutte contre le courant de la liberté, il doit rendre les armes **, car derrière la cuirasse, il n’y a déjà plus qu’un cadavre éperdu.
*Construire un feu, court récit de Jack London sur la marche solitaire d’un homme qui sait son salut ne tenir qu’à sa dernière allumette. Grandiose simplicité.
** Et désolée pour les références. En ce moment, les classiques sont estampillés à partir de quatre ans, à la maison.