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18 janvier 2008 5 18 /01 /janvier /2008 19:03

Quoi de plus vain que toutes ces références à une temporalité vide et impensée qui pullulent dans les discours politiques ou publicitaires, tous deux également voués à la pure communication. "Nouveau, moderne, réactionnaire, progressiste", de bien jolis pavés sur le pont-aux-anabaptistes qui y dansent, fiers de leurs banderolles brandies avec la fierté du fat. Quelle vision naïve que celle qui conçoit l'histoire comme une avancée linéaire allant de l'ombre à la lumière, du mal au bien, de l'ignorance au savoir.
On sait bien pourtant que le temps historique est cyclique, que les civilisations se succèdent, de leur naissance à leur décadence après un plus ou moins brillant apogée.
Mais qualifier une idée de nouvelle équivaut immanquablement à l'estampiller d'un label de qualité incontestable, sous peine d'être aussitôt accusé de réactionnaire au tribunal de l'Inquisition médiatique si l'on ose émettre une objection. Les orthodoxes et les hérétiques. Les progressistes et les réactionnaires. Les élus et les damnés.

Cela me fait songer à la harangue fougueuse d'un collègue (par ailleurs d'une intégrité et d'une serviabilité exceptionnelles), ce jour-là emporté par le souffle épique du politique. C'était il y a longtemps.  Une scène de grève ordinaire dans un établissement ordinaire. Voici ce que m'avait alors inspiré cet anathème.

 Quelques non-grévistes attardés (dans tous les sens du terme apparemment) dans la salle des profs devenue QG de la révolte et de la pensée politique d’avant-garde pouvaient s’entendre dire par l’un des leaders charismatiques de ladite pensée évoqué ci-dessus que « dans l’histoire, il y a toujours ceux qui la font et ceux qui la subissent ».
Il allait de soi que si les grévistes avaient le vent de l’épopée en poupe, les inconscients qui continuaient bêtement d’assurer leurs cours contre vents et marées se voyaient affligés de deux tares majeures : 
 1° d’être de mesquins profiteurs avares de leurs sous qui se contenteraient de récupérer le fruit des sacrifices désintéressés des héros.
 2° de n’avoir pas eu l’honneur de connaître la vérité qui avait été révélée aux élus du « sens de l’histoire ».

Je ferai humblement remarquer à l’auteur de ces paroles prophétiques que trois petits détails m’échappent. Cela lui semblera fort naturel de la part de quelqu’un qui subit l’histoire sans bien saisir où elle va, et j’en appelle donc à son indulgence et à son ouverture d’esprit légendaire.

 1°  Je peine à comprendre comment quelqu’un qui revendique la tolérance comme vertu cardinale et qui s’indigne d’une expression telle que « la France d’en haut et celle d’en bas » lui substitue une distinction dont la condescendance n’a rien à envier à la formule ministérielle. Je me permettrai donc de lui rappeler que le débat démocratique n’a rien à gagner à sombrer dans de telles simplifications. Le fanatisme, quelque sympathique et inoffensive que semble parfois sa figure, se définit précisément par la conviction de détenir la vérité. Les clivages qui invoquent des valeurs idéologiques, voire mystiques telles que le « sens de l’histoire » ne me semblent pas compatibles avec une véritable discussion politique portant sur un problème précis et concret.

 2°  Faire l’histoire et aller dans son sens n’est pas en soi un gage de légitimité et de vérité. Ce n'est pas à un illustre professeur d'histoire qu'il sera nécessaire de rappeler que, à certaines époques, ceux qui la faisaient étaient moins fréquentables que ceux qui la subissaient. Les « faiseurs » d’histoire n’ont certes jamais manqué d’imagination pour faire comprendre à ceux qui ne partageaient pas leurs vues éclairées qu’ils « subissaient » sans aucun doute quelques menus désagréments : ainsi les révolutionnaires guillotineurs de 1793 offraient-ils généreusement aux esprits aveugles de se débarrasser de leur tête dont la stupidité devait tant leur peser et dont la seule existence était une aberration. De même les staliniens n’hésitaient-ils pas à prodiguer des cures de rééducation dans des goulags qui n’avaient sans doute rien à envier aux thalassothérapies. Et cela sans craindre de creuser le trou de la sécurité sociale des soviets. Ils payaient même des médecins et des psychiatres pour soigner les dissidences pathologiques ! Il ne faut pas ménager ses efforts quand on veut faire le bonheur du peuple malgré lui. Le pauvre, il faut bien penser à sa place. Ainsi est-il fréquent que ceux qui s’en réclament ne l’entendent pas : « Quand j’entends parler le peuple, je m’inquiète pour le prolétariat » osait avouer Marx. Ils furent si nombreux, les tyrans, à revendiquer le monopole des Lumières, oubliant cette exigence si fragile énoncée par Voltaire : « Je ne partage pas votre opinion, mais je me battrai pour que vous ayez le droit de l’exprimer ». 

 3°  Enfin, chercher à faire tomber un gouvernement pour lequel on n’a pas voté alors qu’il fut élu par une majorité légitime me gêne un tantinet. Certes, si le droit de vote permettait au peuple d’être souverain, il y a longtemps qu’il serait interdit, dénoncent non sans raison les anarchistes.
Et comme disait Churchill, et Platon avant lui, la démocratie n'est pas le régime idéal. Mais tout casser pour recommencer les mêmes abus ne fait pas beaucoup avancer les choses. Les réformes font couler moins de sang que les révolutions et servent davantage l’évolution des choses.
 Quant à savoir quels sont ceux qui « subissent », on peut se demander où se trouve l’impertinence et le non-conformisme : du côté d’un mouvement de masse, ou bien dans une attitude réfractaire à l’instinct grégaire et fustigée par la majorité de la profession à laquelle on appartient ? 
 
Enfin, prêcher la liberté d’expression, ce n'est  pas couvrir son adversaire de huées ou de livres qu'on jette au bûcher dans un autodafé digne de l’Inquisition. Le bruit et la fureur n’ont jamais constitué une argumentation construite.

 Quelles que soient les idées que les grèves défendent, et même si j’en partage certaines, ce mode d’action installant un pays dans la paralysie chronique s’apparente plus à un défouloir qu’à une démarche constructive et responsable. Essayons donc de sortir de cette logique binaire d’affrontement qui sévit en France depuis des siècles
Voir à ce sujet l’article "Navigation et fausse route". 

Sic transit gloria mundi, et omnia vanitas, et caetera...

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commentaires

J
Dans son "Nouvelle exégèse des lieux communs" Jacques Ellul consacre un chapitre entier à massacrer le concept de "sens de l'histoire", c'est sec, net et par là, à mes yeux, plein d'humour.
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C
<br /> Ah, ah, une nouvelle piste de lecture à suivre... Youpi ! Merci !<br /> <br /> <br />
F
Merci pour le passage sur mon blog qui m'a permis de décrouvrir le tien. Pour les grèves, tout à fait d'accord, cela fait trente ans que je participe à des grèves pour quoi ? Ce n'est plus par ce moyen que l'on progressera, mais par le boycott.
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C
Merci pour ton commentaire. Quant aux grèves, il est vrai que c'est un moyen très ancré historiquement dans notre pays,  et que la paralysie qui en ressort reflète une surdité réciproque entre gouvernement et syndicats, d'ailleurs beaucoup moins représentatifs qu'en Allemagne notamment. Je me souviens par exemple des grèves qui ont asphyxié le festival d'Avignon en 2003 je crois, et qui m'ont emplie de malaise en pensant à tous les artistes et les spectateurs (étrangers en particulier) qui devaient être consternés par le gâchis de tout le travail accompli, quelques légitimes que pussent être la plupart des revendications ...

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