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8 janvier 2009 4 08 /01 /janvier /2009 00:15


Les massacres de Chio, Delacroix.


Ce soir, pas eu le temps de détourner le regard de Pierre petit à temps pour l’empêcher, passant par le salon après le bain et avant le lit, de se poser sur des images de fin du monde. On y voyait, bien alignés sur le sol, de très jeunes enfants, emmaillotés dans des linceuls blancs, attendant d’être chargés sur des brancards avant d’être évacués vers la fosse commune la plus proche. Un quart de seconde plus tard, remarque vaguement étonnée du bonhomme de quatre ans :
« Ils ont une drôle de façon de s’occuper des bébés ! »
Et, perplexe et presque vaguement amusé, il ajoute : « Ils les mettent dans des sacs ! »
Mais après deux ou trois questions et autant de réponses embarrassées, l’évidence était là, indéniable.
« Ils sont morts ? Cassés comme leurs maisons ? Et après, on les enterre ?
Et leurs mamans, elles sont très tristes ? »


Etre mère dans l’horreur. Je ne sais pas si on fait pire. Déjà, l’affronter quand on n’a que sa propre détresse à domestiquer… Mais être dans l’incapacité de soulager celui à qui on a "infligé la vie", comme disait Chateaubriand. Voir souffrir son enfant, sous la peur, sous la faim, sous la soif, sous l’ignorance de ce que sera l’heure suivante, sous les blessures et les infections, et ne pouvoir lui apporter nul remède, nulle réponse. Lire dans ses yeux le verdict de sa propre impuissance à obliger le monde à le sauver. A rétablir l’ordre des choses : manger, dormir, jouer. « Maman, pourquoi n’y peux-tu rien ? Tu n’as pas plus de pouvoir que moi, ballottée comme tous les autres dans l’Histoire. »
 Le rassurer, quand même, par instinct, par habitude, hurlant sous les déflagrations. Le serrer contre soi, le panser de caresses.
Imaginer les ravages de la guerre dans son esprit qui aura vieilli, en quelques jours, de plusieurs siècles. Qu’en ressent-il ? Comment se représente-t-il ceux qui lâchent ces monstres de feu ? Quelles pensées traversent les gravats de son âme ? Terreur ? Vengeance ? Hébétude ?

Se résoudre à le laisser dans un coin, prostré, pour rassembler à la hâte quelques affaires : le pain qui reste (s’il en reste), un peu d’eau. Ah non, les conduites sont explosées, plus d’eau potable. Il va falloir courir au hasard des rues pour désaltérer sa gorge desséchée, déjà.
Quelques vêtements. Pas trop pour ne pas s’encombrer et ralentir sa fuite.
Le calmer. Lui donner des raisons. Lui expliquer l’inexplicable. « Ca va passer. » Un jour, ce sera calme. Un jour, la paix sera. « C’est quoi, la paix ? » Difficile de répondre. Depuis soixante ans de guerre, la mère pas plus que le fils ne savent à quoi ça ressemble. Un mythe parmi d'autres, probablement.
Il a faim. Il ne pleure plus. Il n’en a plus la force.
D’autres bombes s’abattent. Des murs s’effondrent. Du sang salit son visage encore beau, malgré la misère. Où, où est-il blessé ? Vite, vite, savoir où. Sur son front, un éclat. Peu profond, heureusement. Fulgurant soulagement. Mais il gémit. Il a mal. Au ventre, montre-t-il de ses mains qui se serrent. Et le calvaire, le vrai, commence. « Un paquet hurlant de souffrances intolérables »* . Chercher, éperdument, ce qui pourrait ressembler à un médecin. L’hôpital est en ruines, et dans le campement précaire où les soins sont donnés, cela fait longtemps qu’il n’y a plus ni anesthésiques, ni désinfectants, ni rien. Amputations à vif, plaies purulentes, agonies sans fin. C’est beau, un embargo.

* (Erich Maria Remarque, A l’Ouest rien de nouveau)


 A des milliers de kilomètres de là, les marchands d’armes se frottent les mains. Encore de bien beaux bénéfices en perspective. C’est chouette quand même, tous ces gens qui se tapent dessus sur commande. Rien de plus facile à attiser que la haine. Et le pire, c’est qu’ils y croient, ces pantins tueurs, à la cause qu’on leur agite sous le nez comme un chiffon rouge sous le museau du taureau.

Et ça ne date pas d’hier :
« On croit mourir pour la patrie, et on meurt pour des industriels. »
dixit il y a un siècle Anatole France.
« Lorsqu'un gouvernement est dépendant des banquiers pour l'argent, ce sont ces derniers, et non les dirigeants du gouvernement qui contrôlent la situation, puisque la main qui donne est au-dessus de la main qui reçoit. » (Hein M'sieur Bush ?)
Napoléon Bonaparte. Eh oui, il avait quand même pigé un certain nombre de trucs avant de virer barjo.

Non seulement les guerres ne sont pas décidées par les peuples, mais à peine davantage par leurs gouvernements. Ce sont les intérêts financiers et cette satanée et protéiforme soif de pouvoir qui tirent les ficelles : rien de tel qu'une bonne guerre pour faire marcher les aciéries. « Il suffit alors de trouver le premier prétexte venu, incident diplomatique ou attentat, tensions de voisinage ou cristallisation idéologique factice pour mettre le feu aux poudres et mobiliser les foules. »
(Noam Chomsky, propos en substance, recueillis par Daniel Mermet.)
C’était le cas en 1914, en 1933, en 2001. Ca l’est toujours aujourd’hui.
Et quand la cause en question est aussi docilement source de conflit que la promiscuité et une densité de population démentielle, y a plus qu’à s’installer confortablement pour assister au spectacle.

Gaza : plus de 700 (?) morts en moins de deux semaines de bombardements.
Congo : six millions de morts en dix ans de massacres, depuis 1998.
Sri Lanka : plus de cent mille morts depuis 1997.
Pour n’en citer que quelques uns qui font rage aujourd'hui ...
(Même si le point de vue adopté dans le lien n'est pas impartial et construit une moche argumentation sur le macabre décompte en disant : "On en tue moins que d'autres donc on n'est pas méchants", le tableau permet de se rendre compte de l'ampleur du désastre. Il ne s'agit pas de relativiser, de minimiser l'un par rapport à l'autre dans un marchandage sordide et indécent, il importe seulement de constater. Je n'ai pas croisé les chiffres avec d'autres données, donc, prudence.)

Et parce que rien ne ressemble à une victime de guerre comme une autre victime de guerre, pour finir, ce poème d’Hugo écrit après le massacre de l’île grecque de Chio par l’armée ottomane qui émut toute l’Europe romantique (Byron, aussi, notamment ou Delacroix).
Passons sur la peu probable blondeur et les yeux bleus de l’enfant grec dont la symbolique de pureté, après le passage d'Adolf, met un peu mal à l’aise, et lisons :

L’enfant

Les Turcs ont passé là. Tout est ruine et deuil.
Chio, l'île des vins, n'est plus qu'un sombre écueil,
Chio, qu'ombrageaient les charmilles,
Chio, qui dans les flots reflétait ses grands bois,
Ses coteaux, ses palais, et le soir quelquefois
Un choeur dansant de jeunes filles.

Tout est désert. Mais non ; seul près des murs noircis,
Un enfant aux yeux bleus, un enfant grec, assis,
Courbait sa tête humiliée ;
Il avait pour asile, il avait pour appui
Une blanche aubépine, une fleur, comme lui
Dans le grand ravage oubliée.

Ah ! pauvre enfant, pieds nus sur les rocs anguleux !
Hélas ! pour essuyer les pleurs de tes yeux bleus
Comme le ciel et comme l'onde,
Pour que dans leur azur, de larmes orageux,
Passe le vif éclair de la joie et des jeux,
Pour relever ta tête blonde,

Que veux-tu ? Bel enfant, que te faut-il donner
Pour rattacher gaîment et gaîment ramener
En boucles sur ta blanche épaule
Ces cheveux, qui du fer n'ont pas subi l'affront,
Et qui pleurent épars autour de ton beau front,
Comme les feuilles sur le saule ?

Qui pourrait dissiper tes chagrins nébuleux ?
Est-ce d'avoir ce lys, bleu comme tes yeux bleus,
Qui d'Iran borde le puits sombre ?
Ou le fruit du tuba, de cet arbre si grand,
Qu'un cheval au galop met, toujours en courant,
Cent ans à sortir de son ombre ?

Veux-tu, pour me sourire, un bel oiseau des bois,
Qui chante avec un chant plus doux que le hautbois,
Plus éclatant que les cymbales ?
Que veux-tu ? fleur, beau fruit, ou l'oiseau merveilleux ?
- Ami, dit l'enfant grec, dit l'enfant aux yeux bleus,
Je veux de la poudre et des balles.

Victor  Hugo, Les Orientales.

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7 décembre 2008 7 07 /12 /décembre /2008 09:31

Ce qu'il y a de bien, avec ce genre de slogan, c'est que ça facilite le choix du bout de papier qu'on met dans l'urne, aux élections.

Et en bonus :
 "Si vous trouvez que l'éducation coûte cher, essayez donc l'ignorance."
                                                                                                             Lincoln.

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3 décembre 2008 3 03 /12 /décembre /2008 00:11

Avertissement au lecteur et précautions d’emploi : billet à forte teneur en autodérision, point de message subliminal bonapartiste là-dedans. Vous voilà prévenus…  
 

 David, Bonaparte franchissant les Alpes au col du Saint Bernard le 20 mai 1800.

 

Avouez que c'est ballot. Faire un billet sur le deux décembre le trois. Non mais franchement !
Tout ça en vertu d'un manque d'organisation que c'en est à se donner des coups de pied au derrière !
Tout ça, aussi, pour dire que cette date recèle d'inexplicables vertus euphorisantes sur ma personne.

Je ne sais pas pourquoi, mais à chaque fois que je suis amenée à écrire « 2 décembre » sur un chèque ou au tableau, je me sens pousser au coin des lèvres un stupide sourire en forme de bicorne à l'envers. J’ai l’impression de fomenter un coup d’état en douce.

J’y peux rien, c’est plus fort que moi.

 

Pourquoi le 2 décembre ? Ca ne me fait pas ça pour le 11 novembre ou le 8 mai. Non, les jours fériés sont à tout le monde et à personne. Mais qui aurait l’idée saugrenue de célébrer une telle date, si ce n’est quelques confréries nostalgiques du petit corse fort de café et de ses neveux ? Alors, c’est un peu comme un sentiment de clandestinité inoffensive, une cachotterie de gamine qui me saisit lorsque j’écris « deux décembre ». Une sorte de formule magique à remonter dans le temps, une trappe à disparaître et à se propulser ailleurs. Deux siècles plus tôt.

 

Rappelons les faits, d’abord, à ceux qui auraient oublié que nous devons à la Corse le Code Civil, la Bérésina, le GR 20 et des fromages tellement puissants que pour faire fuir les fonctionnaires d’Etat, les indépendantistes insulaires y gagneraient à les poser, bien inaccessibles, dans les doubles plafonds des administrations à la place des bombes. En plus, ils pourraient récupérer les locaux, après évacuation et désinfection.

Donc, le 2 décembre, c’est d’abord en 1804 que ça se passe, le jour où Napoléon le petit grand offrit un nouveau chapeau à sa Joséphine, tout en or et pierres précieuses, après en avoir d’abord choisi un pour lui dans le magasin, et avoir fait déplacer le patron, pardon, le pape, histoire de bien montrer qui qu’était l’chef. Bref, un Sacré jour, quand même. Je ne sais pas si vous imaginez la quantité de petits fours nécessaires pour nourrir tout ce monde, mais cela expliquerait la taille du tablier de cuisine que traîne l’épouse pour ramasser les miettes (du futur empire ?). Seulement, il aurait fallu lui expliquer que c’est devant que ça se porte, un tablier de cuisine. Sinon, ça ne sert à rien. Ralala, faut tout leur dire, à ces aristocrates qui ne savent rien faire de leurs dix doigts.

 
Le 2 décembre, c’est aussi, en 1805, la fulgurante victoire d’Austerlitz, restée dans l’Histoire comme le Soleil d’Austerlitz. Celui qui éblouira Hegel, un an plus tard à Iena, lorsqu’il verra passer sur son cheval l’ « Esprit de l’Histoire » en personne.

Bref, le 2 décembre, ça me remet dans la peau d’un enfant d’un siècle qui n’a jamais été le mien, pardon Alfred pour l’usurpation. Vous permettez que je vous appelle Alfred, même si personne ne m’a jamais appelée George ? (Ndlr : Musset est né juste un peu trop tard pour avoir connu l’exaltante épopée napoléonienne et, dans sa Confession d’un Enfant du Siècle, fournit à deux générations de romantiques neurasthéniques assez de nostalgie pour leur donner envie de se flinguer le nez contre une vitre pluvieuse, au son d’un piano tout aussi liquide. A ce propos, n’aviez-vous jamais remarqué que le féminin de Chopin est « chopine », et qu’il n’y a pas plus liquéfiant comme musique que les dégoulinades pianistiques de Frédéric ? C’est pas que c’est laid, le piano en polonais. C’est que ça me donne un cafard monstrueux en deux temps et trois mesures. Franchement, je préfère Beethoven et sa symphonie héroïque qui, comme chacun sait, fut composée en l’honneur du petit corse, avant que la dédicace ne lui fût retirée après les excès de son impérialisme. Ach, mein Gott, Ludwig !

Et voilà, j’étais partie pour causer de Napoléon, et je passe en revue tous les amants de Madame Dupin. Si vous suivez toujours le filandreux cours de ce propos, le point commun entre Musset et Chopin, c’est
elle
 :  her name is Sand. George, Sand. )

Mais revenons à nos Léons. Napo, Léon.

 
Le deux décembre, donc, ça me remet irrémédiablement en mémoire (mode « repeat ») ces deux vers de Totor célébrant la glorieuse année de sa naissance, deux ans plus tôt. (Ah ben faut suivre, venez pas réclamer, hein) :

« Ce siècle avait deux ans ! Rome remplaçait Sparte

Déjà Napoléon perçait sous Bonaparte. »

Impossible de dire ces vers sans pouffer. C’est ça que j’adore chez Hugo.

Son amphigourique mécanique ronfle tellement bien qu’elle ne s’enraye même pas de quelques grains de dérision ici ou là dans ses rouages.

 

Inexplicable, vraiment, le mystérieux pouvoir du deux décembre sur mon humeur, sachant que c’est surtout la date que choisit Napo le Trois pour fonder l’Empire, le Deux.
(Sachant que le Deux, de Napo, n’eut guère le temps de grand-chose, Aiglon sans grand destin qu’il fut.)

Donc, le 2 décembre 1851, c’est quand même ce jour où le neveu, en mémoire du sacre de son auguste César de tonton, décida de transformer la toute jeune Seconde République en Second Empire.

Et quand je dis inexplicable, je pèse mes mots, parce que je n’ai guère de sympathie pour les coups d’état, et encore moins pour ceux qui sonnent le glas des républiques.

 

A ce sujet, je me plais toujours à penser qu’il vaut mieux essayer d’améliorer et de réformer un système que de le fiche par terre à grands coups d’état dans les tibias, tant le XIXème siècle français illustre avec la frénésie vaudevillesque des maris jaloux la succession des régimes politiques qui claquent les portes du pouvoir avec un emportement aussi enthousiaste que sanglant parfois.

 

Bref rappel (z’avez le doit de le passer) :

 

1792 : Fin de l’Ancien Régime et de plus d’un millénaire de monarchie plus ou moins bordélique ou despotique selon les temps et les gens (point une once de nostalgie royaliste, je précise, juste une vague perplexité sur le rapport entre la Philosophie des Lumières et la Terreur, et l’efficacité de couper des tonnes de têtes pour faire baisser le prix du pain). Proclamation de la Première République.

1795 : Directoire jusqu’au coup d’état du 18 brumaire an VIII, soit le 9 novembre

1799, qui instaura le Consulat, antichambre du Premier Empire  né en

1804 : sacre de Napoléon Ier, le 2 décembre,  jusqu’à Waterloo qui ramena Bonaparte dans une île et la monarchie dans la France, sans oublier la parenthèse des Cent Jours.

1815 : Restauration de la monarchie avec le ventripotent Louis XVIII suivi de l’atrabilaire Charles X, jusqu’en

1830 : Insurrection des Trois Glorieuses qui assouplit la royauté en une Monarchie de Juillet Louis-Philippique modérément débonnaire.

1848 : Le printemps des peuples souffle sur les nations d’Europe et instaure en France la brève Seconde République jusqu’en

1852, puisque le 2 décembre 1851, (le revoilà) le nouveau président de l’encore fraîche Seconde République s’octroie les pleins pouvoirs dans son coup d’état qui fonde le Second Empire, jusqu’à la défaite de Sedan en

1870 où le désastre est tel que la Commune est proclamée à Paris, avant d’être violemment réprimée pour instaurer la Troisième République qui, elle, eut besoin de la défaite de 1940 pour succomber.

 

 Vous vous demanderez peut-être quelle mouche m’a piquée de vous infliger ce fastidieux pensum de collège ? Ben je ne saurais trop vous dire, sinon que je le trouve presque comique, ce défilé de pas moins de dix régimes politiques pour un seul siècle. Avec le recul, c’est quand même assez insensé, non ? Et ce ne sont pas nos voisins anglais qui  y trouveront à redire, eux qui ne perdent pas une occasion de se payer notre tête, du haut de leur monarchie parlementaire multiséculaire.

Je ne juge pas. Je m’amuse (ou me désole, selon l'humeur), seulement, quand je pense aux querelles de cour de récréation qui continuent de plomber notre vie politique aujourd’hui encore.

Ceci dit, elle est belle, la Liberté  guidant le peuple, même si elle trébuche quand même pas mal sur les démons des barricades.

 

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27 novembre 2008 4 27 /11 /novembre /2008 21:38

 

 Quelques réflexions issues d’un spectacle intitulé Unter Eis, Sous la glace (du système), de Falk Richter.

 

Moins de glace au sommet du Kilimandjaro, mais de plus en plus sur les flancs des entreprises,  selon un curieux principe de vases communicants.

Après les Trente Glorieuses, revoici l’âge de glace d’une société enlisée dans des mécanismes qui l’étouffent.

Où l’on retrouve cet éternel aspect du pouvoir : le savoir, mais un faux savoir, un savoir de bateleur de foire, destiné à impressionner, à entretenir le même mystère imposant, effrayant que celui dont s’entouraient les scribes de l’Egypte pharaonique. L’élaboration et l’usage d’un langage à la complexité soigneusement étudiée pour éloigner le plus grand nombre de la maîtrise du système dont il n’est qu’un maillon. Faible, forcément.

Un peu comme si l’engrenage infernal qui happait Chaplin dans Les Temps Modernes était devenu abstrait, impalpable, insidieux : des rouages de phrases cassantes, des dents de mots ronflants.

 

C’est l’anglais des écoles de commerce et de management qui a remplacé le latin de cuisine des médecins de Molière, mais le but est le même : masquer la peur de ne pas dominer l’autre par un jargon incompréhensible, une langue de bois et d’airain destinée à hypnotiser le plus faible, à l’étourdir sous des concepts abscons, et à masquer sa propre ignorance d’un système économique devenu fou. Un monde d’apprentis sorciers en somme, qui psalmodient, terrifiés et terrifiants, des formules magiques erronées pour enrayer la faillite d’un système qu’ils verrouillent avec une violence proportionnelle à leur impuissance fondamentale.

 

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9 juin 2008 1 09 /06 /juin /2008 23:22






Qui n'a jamais assisté à une formation continue pour adultes modérément consentants au sein d'un IUFM ne peut concevoir dans toute son éclatante perfection l'idée exacte du néant intersidéral de la pensée.
A côté de ce stupéfiant brassage de vide, les expériences absolues des mystiques les plus ardents ne sont que pipi de chat.
Jean de la Croix et sa nuit obscure, Thérèse d'Avila et ses abîmes extatiques peuvent aller se rhabiller.
Même Pascal, qui s'effarouchait déjà facilement, 
( "Le silence éternel de ces espaces infinis m'effraie",
osait-il avouer sans honte)
eût pris ses jambes à son cou pour se réfugier
dans sa chambre de méditation
au spectacle effarant de ces bafouillis parfaitement épurés
de toute trace d'intelligence.

"Mes frères, contemplons ensemble nos vacuités respectives.
Une minute de silence ne suffirait pas. Préférons lui quatre fois trois heures de salmigondis sous-psychologisant pour arriérés du neurone.
Nous ne sommes pas là pour vous apporter du contenu tout prêt.
- Ah ben non, ce s'rait dommage, hein, des fois qu'on apprenne quelque chose !
Des fois qu'on nous transmette un savoir, ah ben non !
On est quand même des profs, hein. La connaissance, on s'en méfie !
Mieux vaut savoir qu'on ne sait pas, en bons Socrates ramollis du ciboulot, que d'essayer de se coucher moins ignorants.
Barbotons gaiement dans la fange de nos apories.
- Pas de cours magistral, surtout.
- Ne vous inquiétez pas : il ne nous était pas venu à l'esprit une seconde d'attendre quoi que ce soit de magistral de votre pédagogisme !"

Ce n'est plus le Gai Savoir de Nietzsche, c'est le Très Rasoir atelier de mise en commun de nos impuissances complaisantes.
J'ai beau savoir à quoi m'attendre, ayant déjà subi un certain nombre de tortures similaires, même si je fuis toujours autant que possible ce genre de mascarade caractéristique du PAF (Plan Académique de Formation), je reste toujours, à chaque fois, aussi estomaquée par l'inanité de ces pseudo-formations qui possèdent moins de consistance qu'une heure de cours pour les sixièmes les moins avancés qu'on puisse imaginer. Ils prétendent apprendre "comment gérer les conflits" à des professeurs d'un collège bien musclé (le collège, pas les collègues) en leur proposant une mélasse insensée grâce à laquelle ils auraient en moins de deux minutes les élèves sautant à pieds joints sur les tables, à supposer qu'ils ne les leur auraient pas déjà lancées à la figure.
Rien ne m'insupporte plus que ces sempiternelles entrées en matière
fort mal appelées "brainstorming" (ou encore remue-méninges.)
 Pour qu'il y ait des tempêtes sous des crânes,
encore faut-il un minimum de dynamique conceptuelle.
Pas un ramassis de pauvres fragments de vécu mal digérés
et régurgités encore plus informes qu'ils ne furent avalés
sous formes de rognures de mots éculés, désarticulés et barbouillés
au marqueur noir nauséabond sur de malheureuses affiches
qui termineront à la poubelle, désespérées d'avoir tué
tant d'arbres verts pour si peu de matière grise.

Non vraiment, brasser du vide avec tant de constance requiert une virtuosité à saluer. C'est du grand art.
Je n'exagère pas, il y a des témoins.
Ainsi a-t-on passé plus de deux heures, montre en main, à caqueter sur une seule et unique idée (il est facile de les repérer, il n'y a pas foule, de ce côté-là) : les vertus du tirage au sort préalable à l'interrogation orale des élèves, qui ôte toute suspicion d'arbitraire, donc tout sentiment d'injustice de la sensibilité exacerbée de ces pauvres chéris. Je vous jure, deux heures, rien que sur le tirage au sort !!! C'était au début de l'année, stage destiné à tous les "nouveaux" arrivants en ZEP (zone d'éducation prioritaire, appellation novlangue pour zone culturelle sinistrée). Y étaient même conviés ceux qui, ayant obtenu une mutation récente, n'en avaient pas moins exercé des années dans d'autres établissements ZEP, comme c'était le cas d'une bonne moitié d'entre nous.

Ainsi aussi fallut-il, il y a quinze jours, une séance de deux heures "pour évaluer les besoins", expression euphémistique signifiant qu'on se regarde dans le blanc des yeux en soupirant sur l'inextricabilité de la situation.
Après cette première matinée d'une intensité intellectuelle remarquable, il fallait bien une deuxième après-midi pour rappeler l'abondante moisson de désolations récoltées lors de la première session, et préparer la journée du lendemain. Il nous fallut donc une réunion pour préparer la réunion suivante, qui elle-même annonçait la réunion ultime, sans toujours que le vif du sujet, dans son contenu, mot tabou emblématique des hérétiques de la transmission des savoirs, ne soit ne serait-ce qu'effleuré. Ni dans le concret ; ni, encore moins, dans l'abstrait, car l'on risquerait une entorse de nos méninges sous-entraînées en absorbant une dose létale de concept. Vade retro, Theoria !

Une seule solution dans ces cas-là pour ne pas laisser son cortex mourir d'inanition : installer une discrète perfusion cervicale sous la forme d'un bouquin dissimulé derrière un gros classeur, ou de jolis textes imprimés, plus discrets et tout aussi seyants.


Et quand on pense qu'ils s'y mettent souvent à trois, ces formateurs bien formatés, pour nous asséner le constat sempiternel qu'il n'y a rien de plus à faire que ce qu'on fait déjà dans un système scolaire en pleine déliquescence, et qu'il n'y a qu'à continuer à supporter l'insupportable, on se dit que les impôts seraient un peu mieux employés ailleurs : à payer plus de profs avec élèves, à mieux les répartir, à repenser le système dans ses fondments, au lieu de multiplier ces élevages hors sol de planqués pontifiants.
Mais c'est bien connu ; les profs, ça ne pense pas :
ça marche ou ça grève.

Certes, il me faut avoir l'honnêteté de reconnaître que tous les formateurs ne sont pas de sombres imposteurs. 
Mais je continue cependant à affirmer que l'idéologie fondatrice des IUFM est destructrice de bien des dynamiques d'apprentissage, et qu'elle est redevable à la société de ce qu'elle fait des crédits qui lui sont alloués. Le problème est réel, et je ne vois pas en quoi il serait démagogique de le reconnaître, dans la mesure où nombreux sont les professeurs, sur le terrain, de l'intérieur, à le déplorer.
Lisez le Journal d'une institutrice clandestine, de Rachel Boutonnet, par exemple.
Lisez aussi, surtout La Fabrique du crétin, de Jean-Paul Brighelli, brillant brûlot d'une tragique lucidité.
L'étroitesse idéologique dont font preuve Philippe Meirieu et ses apôtres, il ne me semble pas malsain de s'en indigner.


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25 mai 2008 7 25 /05 /mai /2008 10:18

Les plus grands ennemis d'une idée ne sont pas ses adversaires,
mais ses défenseurs extrémistes, dont l'outrance la discrédite définitivement.

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29 avril 2008 2 29 /04 /avril /2008 00:01

Quelques éclaircissements nécessaires pour dissiper les sombres nuages qui semblent flotter depuis quelque temps sur l'horizon de ces rivages.

J'ai plus d'une fois formulé en ces lieux de virulentes critiques contre les dérives de la démocratie, dans la rubrique pôle éthique et politique.

Mais les réactions qu'elles suscitent chez certains me font prendre conscience de l'ambiguïté de ces colères qui ressemblent par trop parfois à des caprices d'enfant gâté.

Tout d'abord, quel autre régime politique me permettrait l'expression de critiques aussi acerbes à son encontre sans me jeter en prison ?
Ne crachons pas dans la soupe.

Ensuite, mon goût immodéré pour le débat d'idées me pousserait à disputer avec le diable en personne. Ce n'est pas, en effet, servir l'idéal qu'on défend que de refuser le dialogue avec ses détracteurs, quelle que soit la mouvance sulfureuse à laquelle ils appartiennent. Leur répondre par l'anathème ou le silence est le plus bel argument qu'on puisse leur offrir.
J'affichais crânement il y a peu la posture fanfaronnante de "la femme sans appartenances", refusant de subordonner ses amitiés à l'inféodation de quiconque à tel ou tel parti, même si la grande majorité de mes affinités se situe du même côté de la balance politique.
Je préfère la liberté fragile de l'individu aux pesantes chaînes de l'inertie du groupe. Considérer la complexité des choses de ce bas monde avec les outils conceptuels exclusifs d'un seul parti me semble aussi absurde que de choisir sa jambe droite ou sa jambe gauche pour marcher.

 Nul en effet n'a le monopole du coeur, ni celui de l'intelligence. La bêtise comme la richesse intellectuelle, l'ouverture d'esprit comme le fanatisme se retrouvent de chaque côté.
Mais, de même qu'une secte qui a réussi devient une religion, nommant la secte vaincue hérésie, l'idéologie dominante ne se reconnaît pas dans la dénomination de fanatisme, quelles que soient parfois son intolérance et sa rigidité.
Ceci dit, on pourrait définir comme critère de fréquentabilité d'un parti l'inoffensivité de ses membres les plus crétins.


Passons ce préambule précautionneux, et (ba-)taillons dans le vif du sujet.

Mais demain.

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3 avril 2008 4 03 /04 /avril /2008 18:44

Pour clore cette trilogie linguistique non préméditée,
le choix est embarras.

Valérie Cruzin ?
Cette institutrice qui s'est suicidée à la suite de calomnies.
Voir les détails dans ces deux articles du blog de Dominique Boudou :
http://www.cetaitdemain.org/article-18237510.html et
http://www.cetaitdemain.org/article-17914070.html

Ingrid Betancourt ?
Certes, la mobilisation sur son unique nom peut révolter,
ignorant la multitude des autres malheurs du monde et bâtie sur
la richesse de son empire industriel et politique.
Mais reste intacte sa souffrance de n'avoir pas vu grandir ses enfants.
Et reste aussi sa valeur de symbole.


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3 avril 2008 4 03 /04 /avril /2008 00:33

Pour mieux se convaincre de l'urgente nécessité de ne pas mourir idiot,
observons le comportement d'une électrice
du président le plus ignorant du pays le plus puissant du monde.
Mais la remise en cause de sa suprématie par les états
qui ont encore une école qui fonctionne (la Chine, l'Inde qui fabriquera bientôt plus d'ingénieurs que nous chaque année, etc...) ne saurait tarder.
On a les chefs que l'on mérite (ici comme là-bas).
Le problème, c'est qu'ils en font profiter le monde entier.
Allez donc lui faire comprendre, à cette "dinde" (je cite), qu'elle pourrait
renoncer à son brushing quotidien pour que la planète
se réchauffe moins vite que ses neurones ne se sont grillés.
Il ne s'agit pourtant pas de se laisser aller à un ènième lynchage misogyne, ou de cautionner un jeu qui cherche une fois de plus à humilier l'adulte face à l'enfant, mais de réfléchir à l'avenir d'une société qui produit de telles machines à consommer.
On se croirait déjà dans le futur dépeint dans un film, presque un nanar,
mais dont l'idée de départ est à creuser, sorti il y a quelques années : Idiocratie.
La preuve en images :
http://fr.youtube.com/watch?v=auq2zxAi5Tg
et en paroles :
Selon George W. Bush : "Sarkozy est la dernière incarnation d'Elvis Presley"
http://www.lexpress.fr/info/quotidien/actu.asp?id=469372
Oh my God ! Au secours !
(Droits d'auteur: lien trouvé sur le site de la Soph, ici :
http://lestoujoursouvrables.over-blog.com/article-18388260.html)

On comprend mieux les réticences de Churchill et de certains philosophes concernant la démocratie.
(rattrapage théorique ici : http://l-oeil-du-vent.over-blog.com/article-17852035.html )
"La démocratie est un système qui garantit que nous ne soyons pas gouvernés mieux que nous ne le méritons." G.B.Shaw. (Merci à Martin pour le cadeau de la citation).
Sans l'éducation due par le pays à son peuple, la démocratie
n'est qu'une coquille vide qui ne peut mener qu'à une dictature larvée.
Comment faire élire un vrai politique, visionnaire et responsable à la fois, par quelqu'un qui ne voit pas plus loin que son voisin de pavillon ?
L'éducation est le corrélat indispensable de tout système électoral qui fonctionne.
Il ne peut y avoir dans un pays d'illettrés qu'une république bananière.
On peut tout faire gober à l'ignorant.
Et l'on s'étonne que la "pensée" créationniste soit florissante aux Etats-Unis ?
Que la science recule chaque jour face à l'obscurantisme ?
Et l'on s'étonne après que les campagnes électorales américaines,
et de plus en plus les nôtres hélas, ressemblent à des campagnes de publicité pour lancer des lessives à laver le cerveau ?
Qu'il faille dépenser des millions de dollars pour acheter des ballons de baudruche et se soumettre ensuite aux quatre volontés des multinationales lobbyistes qui vous ont acheté et exigent que vous placiez leurs intérêts au dessus de celui des citoyens ?
Regardez ce qui se passe ces jours-ci encore avec Monsanto, qui fait tout accepter à nos députés, ici à Paris, ou à la commission de Bruxelles.
Il n'est pas nécessaire d'être riche pour séduire un peuple intelligent :
un beau discours suffit.
Réécoutez les prouesses oratoires et dialectiques de Blum, de Mendès-France.
Et comparez-les aux prompteurs de Bush, de MacCain, de Ségolène Royal ou d'autres...
Il n'est pas de meilleur rempart contre le règne de l'argent tout-puissant que la culture et l'intellect.
Mais il faut bien des moyens financiers pour séduire les imbéciles.
Le pouvoir aux crétins, c'est la dictature de l'argent assurée.
"Qui veut gagner des millions ? Qui croit au Père Noël ?"
"Moi, moi, moi" répondent en choeur les mouettes,
et de déposer leurs fientes dans l'urne.

Question approfondie ici pour les amateurs :
http://l-oeil-du-vent.over-blog.com/article-15208055.html

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31 mars 2008 1 31 /03 /mars /2008 22:47

Traduction pour les non-teutonophones :

Allusion au roman monumental de Robert Musil,
Der Mann ohne Eigenschaften : L
'Homme sans qualités.

Die Frau ohne Mitgliedschaften, c'est la femme sans appartenances.

Allégée de toute allégeance.
Refus des clans, refus des camps.
Délirante délivrance ?
Illusoire liberté ?
Randonnant de pays en partis,
sans jamais se sentir d'ici plus que d'ailleurs.

Même si ses racines s'abreuvent à la fontaine constante
dont la corneille boit l'eau, parmi la bruyère.

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