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14 avril 2009 2 14 /04 /avril /2009 00:18

Crédit photo : Sof17

Comme tout petit n’enfant qui a la chance de pousser dans un décor bucolique au moins dominical, Pierre petit adore cueillir des fleurs.
Au tout début, après les avoir occises au ras de la corolle, il les gardait jalousement dans sa menotte fermée, et il en ressortait quelques instants plus tard une purée de pétales modérément esthétique dégageant, mêlés à la moiteur de sa paume et à la poussière du chemin, une odeur qui ne ressemblait que de fort loin au fumet délicat des alambics parfumeurs de Grasse.
Puis les tiges s’allongèrent. Elles devinrent présentables, et furent offertes en bonne et due forme à sa maman ou à toute autre présence féminine dans les parages.
(Cet enfant a un sens de la galanterie mystérieusement inné. Il n’avait pas encore deux ans qu’il essaya de séduire la maman inconnue d’une condisciple dans un square en lui faisant présent d’une somptueuse feuille morte desséchée à souhait.)
Mais contempler la production florale d’une belle étendue verdoyante désastreusement moissonnée m’a toujours procuré un léger pincement au cœur.
Bien sûr, j’avais, comme il se doit, soin de toujours remercier chaleureusement le fruit de mes tripailles de ces offrandes rituelles, mais lorsque cette habitude se mua en extermination systématique à échelle industrielle des primevères et autres violettes sylvestres, je ne pus m’empêcher de lui réitérer, mêlée à l’expression de ma gratitude, l’assurance que je préférais de loin laisser après notre passage le tendre tapis vert parsemé de taches vives et claires, que de ne plus tenir à la fin de la promenade que le cadavre déjà pourrissant d’une malheureuse anémone des bois assoiffée.
Il fallut que les fleurettes champêtres passassent encore une saison en enfer avant que le message n’arrivât à bon port, sur le bateau ivre de joie de sa ferveur filiale.
Mais ô félicité suprême ! Dès les premiers rayons de ce printemps, la mission était accomplie, et le témoin passait du sacrifice floral au rituel verbal.
L’humanité mit des millénaires à transformer les sacrifices humains de ses religions implacables en liturgie symbolique. Il suffit de quelques ans au petit Pierre (sur le dos duquel nulle église n’est encore bâtie) pour épargner à tant d’innocents pédoncules ces barbares arrachages sanguinolents de sève : une Révolution s’était accomplie.
Il était passé du don au dire, du cadeau à la parole. Et il avait compris que rien ne faisait plus plaisir au spécimen de dame qui lui sert de maman qu’une belle parole. Bien plus que l’objet qu’elle remplace.
Je lui avais en effet suggéré, pour ne pas briser l’élan de sa générosité, ni froisser la fragile éclosion de sa tendresse, de simplement me montrer quelles fleurs il souhaitait m’offrir, lui affirmant que ce geste dédicatoire seul suffisait à mon bonheur. Parce que « c’est l’intention qui compte » et que je saurais ainsi, en voyant ces fleurs poursuivant paisiblement dans l’herbe leur brève vie de fleurs, qu’il m’en avait fait don, et que cela valait reconnaissance.
Et de le voir, enthousiaste et triomphant à chaque essaim de fleurettes rencontré, les désigner d’un ample et caressant mouvement de la main accompagné de l’auguste formule : « Maman, ces fleurs-là, je te les offre, et puis celles-là aussi ! » avec la fierté solennelle et sautillante d’un universel propriétaire terrien faisant visiter son domaine à son invitée, et ben vous savez quoi ? Ca m’émeuhhh !
Heureusement que l’analogie bovine s’arrête là. S’agirait pas que cette empathie fusionnelle avec la nature ne pousse sa génitrice, telle une génisse en appétit, à brouter ces fleurs dont le salut fut conquis de si haute lutte.
Ainsi êtes-vous prévenus : toute sauvagine des prés croisée dans la région m’appartient désormais symboliquement. Mais rassurez-vous. Je ne réclame pas de péage à qui passe devant, ni de pourcentage à qui les regarde avec un peu trop d’insistance.

Ou comment enseigner à sa progéniture la toute puissance du verbe créateur et protecteur de vie, capable de donner sans rien prendre, et d’offrir sans rien coûter.

Ainsi naquit le onzième commandement :
A Pâques, point de pâquerette ne guillotineras, et les douceurs par la parole prodigueras.

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commentaires

H
il faudrait inventer quelques onzièmes commandements ,non ? celui que maitre François mettait à l'entrée de son abbaye de Thélème pourrait faire l'affaire , non ?  "fay ce que vouldra"
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C
<br /> <br /> C'est pas faux, ça. Peut y en avoir plusieurs d'ex aequo, des onzièmes commandements. Néanmoins, le "Fay ce que vouldras" suppose de bien choisir à qui on l'adresse, tout de même. Thélème,<br /> c'était pas un collège de ZEP...<br /> <br /> <br /> <br />
S
En brassées, les fleurs, sur pieds plutôt qu'à la serpette, voilà qui coupe l'herbe sous ceux qui plantent de mauvaises graines dans l'esprit de nos chères têtes blondes.J'applaudis des deux mains ce secret de votre jardin.
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C
<br /> Yess ! Quel bouquet, quel florilège ! Que voici un champ lexical fort joliment fleuri ! :)<br /> Et je fais une courbette à votre refus de serpette.<br /> <br /> <br />
M
Ce serait bien que vous revisitiez aussi les autres commandements, dans n'importe quel ordre ça ira, je dis ça parce que c'est pas un ordre mais juste une invitation à vous lire encore, des fois que vous auriez plus d'inspiration ( nan, là j'déconne, vous en avez à revendre :) )
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C
<br /> <br /> 1°) Version outrageusement sérieuse de la réponse :<br />  Pour les 10 commandements, il en est peu avec lesquels je me sente en phase : c'est déjà un progrès par rapport à la loi du Talion ou celle de la jungle, mais ce ne sont que des préceptes<br /> civilisationnels, alors que seul compte l'impératif catégorique, le principe universel de la réciprocité. "Ne fais pas à ton prochain...", "Ne demande pas à l'autre ce que tu ne lui accordes<br /> pas", etc...<br /> 2°) Pour l'inspiration, c'est une idée. Toute série est bonne à suivre, mais comme vous le soulignez, c'est pas l'inspiration qui manque : c'est juste que parfois, elle n'a pas exactement la<br /> couleur qu'on lui souhaiterait, et que ça se fait pas d'asperger ses lecteurs d'humeur noire.<br /> 3°) Et votre blog ? A pu ? Disparu ? Evanoui ? :((<br /> Tant de beauté anéantie. Je ne pense pas être la seule à en porter le deuil.<br /> <br /> <br /> <br />
D
Tiens le formulaire de commentaire a changé depuis hier! :)Ah qu'il est bien ce petit! Et sa môman aussi qui lui apprends que tout est plus mieux beau quand on partage avec tous plutôt que prendre pour soi tout seul comme un vil petit négoïste (on rejoint pas un peu ton histoire de parachutes en or massif là d'ailleurs??) Bin figures-toi qu'il y a un mois, on a pu me voir à flanc de colline dans le grand parc à côté de chez moi, à genoux, le derrière en l'air et le museau dans un tapis de violettes! Comme ça, toute honte bue. Mon mari à moi que j'ai m'a dit:"Pourquoi tu n'en cueilles pas?" Il y en avait des milliers, mais à quoi bon les arracher, elles auraient mouru aussi sec. Je préfère m'y frotter la truffe. Avec délice. Et puis j'ai dû être pâquerette dans une autre vie parce que ça me fait vraiment mal de couper des fleurs qui ne m'ont rien fait. ;)
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C
<br /> <br /> Pareil ! Je ferais une piètre jardinière tant je rechignerais à tailler les plantes, même si c'est "pour leur bien". Ca me fait mal de voir couper branches ou tiges, et comme toi (et comme Bobin)<br /> j'adore plonger, regard et mains au ras de l'herbe, et en caresser la douceur au détour d'une randonnée alpestre ou d'une promenade champêtre. Si on se baladait ensemble, on serait deux la truffe<br /> dans la prairie !<br /> Les coquelicots, c'est dans les prés que c'est joli, pas dans un vase.  Ma môman s'appelle Marguerite : normal que je me sente solidaire des pâquerettes ! :)<br /> <br /> <br /> <br />
H
enseigner à sa progéniture la toute puissance du verbe créateur : ouaip ! d'accord ! mais à condition de leur filer en même temps une bonne dose d'antidote pour que les "fruits de nos tripailles" (j'ai adoré cette expression) ne confondent pas vessie et lanterne , dire et faire, babil verbeux et vraies promesses etc
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C
<br /> 1°) Ravie que le fruit des tripailles vous plaise : l'expression m'a fait sourire aussi quand elle est arrivée sous les touches du clavier. C'est ça qu'il y a de bien avec les mots : on<br /> ne sait jamais ce qu'ils vous réservent. On s'apprête à relater une micro-anecdote en 5 lignes et 3 minutes, et on se retrouve au bout d'une heure avec une page entière.<br /> 2°) Sur le fond : sûr que rares sont les beaux parleurs qui sachent assumer. Un temps pour les mots, un temps pour les preuves.<br /> <br /> <br />

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